La Femme pauvre de Léon Bloy

Ce grand roman poétique, dominé par l’image de feu, glorifie la femme, identifiée au thème chrétien de la pauvreté. Clotilde, l’héroïne de La Femme pauvre, parvient à la lumière lorsque, dépouillée de tout, elle est laissées à la totale solitude et à la misère absolue. Au-delà de toute tristesse et de tout malheur humain, elle accède alors à l’univers spirituel « et sa continuelle prière est une torche secouée contre les puissants… »

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19/20

Depuis que j’avais lu Le Désespéré, il y a de ça quelques années, j’avais failli oublier la fascination que ce roman m’avait procuré, et j’avais failli oublier cet ovni littéraire qu’est à mes yeux Léon Bloy. Auteur français, dont l’œuvre est marquée par une ferveur religieuse revendiquée, très critique vis-à-vis du réalisme et notamment du naturalisme zolien ; Léon Bloy manie les mots avec une virtuosité particulière qui donne vie à ses récits, mais surtout à ses personnages, pleins d’une humilité louée. Le symbolisme présent dans son écriture va jusqu’au mysticisme même des signes, et c’est ce poids des images qui me séduit le plus dans sa plume. En lisant un roman de Bloy, on a l’impression d’être face à un tableau vivant et magistral, comme si cet ensemble de phrases n’était qu’une hypotypose à elle tout seule. 

La Femme pauvre, c’est le récit de Clotilde, jeune fille martyrisée par sa mère et son beau-père, qui va rencontrer le peintre Gacougnol et son ami, l’écrivain Marchenoir — personnage du Désespéré — et va, à partir de cette rencontre miraculeuse, voir sa vie se transformer, passant de l’indigence à l’épanouissement de soi, pour revenir à une indigence qui, seule, permet à la femme de réaliser sa sainteté. Cette valorisation de la pauvreté est au centre de ce récit, où le manque devient un signe de la vraie et profonde foi, et s’accompagne d’une vive critique de l’hégémonie de l’argent et de l’hypocrisie des riches qui se font aux dépends des plus pauvres. 

Ce qui m’a le plus parlé dans ce roman, ce sont ses quelques accents magiques, et la croyance (sans parler de foi religieuse et/ou chrétienne) en quelque chose de « plus », de plus grand, de plus beau, de supérieur au prosaïsme humain. L’écriture de l’auteur nous fait regarder plus haut et plus loin, elle est donneuse d’espoir mais surtout, elle nourrit les cœurs avides d’Absolu. L’élévation de soi est permise par la ferveur de cette croyance, mais aussi et surtout par l’humilité vraie et sincère, incarnée par le personnage de Clotilde.

« Il se persuada que l’art de son étrange défenseur correspondait mystérieusement au sien. La violente couleur de l’écrivain, sa barbarie cauteleuse et alambiquée ; l’insistance giratoire, l’enroulement têtu de certaines images cruelles revenant avec obstination sur elles-mêmes comme les convolvulacées ; l’audace inouïe de cette forme, nombreuse autant qu’une horde et si rapide, quoique pesamment armée ; le tumulte sage de ce vocabulaire panaché de flammes et de cendres ainsi que le Vésuve aux derniers jours de Pompéi, balafré d’or, incrusté, crénelé, denticulé de gemmes antiques, à la façon d’une châsse de martyr ; mais surtout l’élargissement prodigieux qu’un pareil style conférait soudain à la moins ambitieuse des thèses, au postulat le plus infime et le plus acclimaté ; – tout cela parut à Léopold un miroir magique où bientôt il se déchiffra lui-même, avec le hoquet de l’admiration. »

Outre ce récit central, qui permet à l’auteur de montrer le gouffre de l’orgueil humain qui pousse les hommes et les femmes à croire que leur rôle est primordial et leur place immuable, ce dernier profite aussi de chapitres isolés et plus personnels pour s’adresser à son lectorat et constituer ce qu’on peut appeler son art poétique, comme un manifeste de son œuvre littéraire. Il évoque notamment, avec une intertextualité très présente, ses réserves vis-à-vis du réalisme en littérature. Malgré tout, j’ai vu, ou cru voir, un certain parallèle entre ce roman et L’Œuvre de Zola, surtout dans le destin — tragique — des deux couples et de leur progéniture. Toujours dans cette question de l’intertextualité, j’ai aussi trouvé dans l’ouvrage de Léon Bloy des consonances qui rappellent l’univers et les personnages des Misérables de Victor Hugo. 

Enfin, je finirai en relevant l’accent mis sur l’idée de « beauté intérieure » : par l’indigence, il y a une réelle volonté d’oublier les soucis matériels futiles, afin de valoriser une bonté d’âme et d’esprit caractérisée par l’ouverture à l’autre, l’importance de l’empathie, de la compassion et de l’humilité ; ces caractéristiques qui font de Clotilde un véritable joyau au milieu d’un monde qui peut sembler en train de pourrir. Cette élévation de l’être par l’oubli de soi pour autrui, et, au final, par l’universalisation plutôt que l’égocentrisme, se retrouve aussi dans un dépassement, voire une critique, de l’amour passionnel souvent loué mais qui est en réalité destructeur, violent, et donc, négatif. 

« N’est-ce point un malentendu ? Serait-ce que la plupart des hommes ont oublié qu’étant eux-mêmes des créatures ils n’ont pas le droit de mépriser l’autre côté de la Création ? […] Je sais aussi que Dieu nous a livré les bêtes en pâture, mais il ne nous a pas fait un commandement de les dévorer au sens matériel, et les expériences de la vie ascétique, depuis quelques dizaines de siècles, ont prouvé que la force du genre humain ne réside pas dans cet aliment. »

Pour finir cet article et limiter les emballements de mon esprit qui voudrait disserter sur l’œuvre de Bloy pendant des heures, je relèverai simplement les passages concernant les animaux, leur consommation et exploitation, qui m’ont surpris par leur présence mais surtout par leur bienveillance. Si certains passages m’ont fait questionner le sexisme de l’auteur (présent chez tous les écrivains du XIXème siècle, on ne va pas se mentir), son regard sur la condition animale m’a paru réellement réfléchi, et je trépigne d’impatience à l’idée de lire d’autres ouvrages de lui afin de voir si sa pensée s’y reflète aussi, et si oui, si elle y est plus accentuée. Et en bonus, on notera les quelques tournures à base de « les hommes et les femmes » qui font toujours plaisir et qui prouvent bien que l’écriture inclusive (même si on ne peut pas réellement parler d’écriture inclusive chez Léon Bloy, on est d’accord) est bel et bien compatible avec la littérature et une écriture poétique. 

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bises, emi

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