Le Cousin Pons d’Honoré de Balzac

« Partout, et en toute chose, éclate à Paris l’inégalité des conditions, dans ce pays ivre d’égalité. »

Je reste relativement mitigée (perplexe ?) par ma lecture de cet ouvrage, lequel diffère de l’image que je m’en étais faite avant même de le commencer. Dans ce récit aux limites de l’étrange, que Balzac nous livre dans ce qui sera son dernier roman, Pons, collectionneur d’art, personnage pathétique et attachant, devient la cible d’une guerre sans merci entre les différentes classes parisiennes. Les riches, les moins riches, les pauvres, tous et toutes convoitent cet héritage grandiose que Pons conserve sous la forme d’un musée, et dont il voit la richesse émotionnelle plus que la valeur monétaire. Celui qui partage sa vie, Schmucke, son seul potentiel secours, le suivra jusqu’au bout de cette lutte accablante, malgré son incompréhension totale vis-à-vis du monde qui l’entoure (barrière de la langue oblige, mais comme chez Pons, cette incompréhension semble aussi tenir de son aspiration au banal). 

« Pons prit la main de Schmucke, la mit entre ses mains, il la serra par un mouvement où l’âme se communiquait tout entière, et tous deux ils restèrent ainsi pendant quelques minutes, comme des amants qui se revoient après une longue absence. »

Le contraste entre Pons, « débris » de l’Empire et sa collection, accumulation sans fin d’œuvres monumentales, est brillant en ce qu’il permet de montrer, dès le premier coup d’œil, la monstruosité qui se formera derrière cette image, immense, de la collection. Riche et flamboyante, elle attirera tous les regards, malgré les tentatives de dissimulation de Pons ; et c’est son amour pour les « belles choses » qui empêchera Pons (et Schmucke) de vivre un quotidien banal, à leur hauteur : de la même manière que Pons, en voulant manger toujours plus et toujours mieux, finit par se perdre, sa voracité artistique le pousse à une accumulation qui le dépasse au point, presque, de l’écraser. Pons, finalement, s’efface derrière cette collection pour ne trouver son identité qu’en elle — ce que l’excipit du roman confirmera. 

« Paris était une tempête perpétuelle, les hommes et les femmes y étaient emportés par un mouvement de valse furieuse, et il ne fallait rien demander au monde »

Ce roman, jumeau de La Cousine Bette, est bien trop riche pour être saisi dès sa première lecture, et il laisse une impression déroutante ; dans ce va-et-vient de personnages, ces allers-retours incessants entre l’appartement des deux hommes et les sociétés qui en veulent à leur argent, le regard se perd et ne conserve qu’un échantillon d’images frappantes : celle de Pons et Schmucke, victimes tragiques du capitalisme, mais aussi de leur propre naïveté, de leur profond besoin d’être aimés ; celle de la Cibot, qui maîtrise à la perfection le shape-shifting, s’enfermant dans un rôle de bienveillance superficielle afin d’arriver à ses fins, bien trop modestes en comparaison de ce qu’elle accomplit et sacrifie ; puis, se confondent les visages, les noms, les personnages corrompus et quelques-uns qui, véritablement, tentent d’aider du mieux possible ; et derrière ce nuage de caractères se tient, se dresse la collection, Saint-Graal qui nous rappelle vaguement cette figure des Halles dans Le Ventre de Paris, de Zola. La collection finit presque par devenir Paris tout entière, ville tentatrice que tous et toutes veulent conquérir, ville trésor qui regorge de richesses en tous genres, de peintures, d’objets d’arts, de meubles anciens prêts à remplir leur fonction purement décorative dans tel ou tel autre salon bourgeois… Pons, bien trop en dehors de son temps, représente une France honnête, naïve, depuis longtemps disparue.

« toutes les choses vraies ressemblent d’autant plus à des fables, que la fable prend de notre temps des peines inouïes pour ressembler à la vérité. »

emi

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